Dans ses buts et ses principes, l’archéologie sous-marine ne diffère pas de l’archéologie terrestre. En revanche, le milieu aquatique impose des contraintes particulières auxquelles il faut adapter les techniques de recherche. Avant toute fouille archéologique, l’IEASM pratique une approche systématique originale et non intrusive des sites en milieu marin, fondée sur une prospection géophysique.La prospection archéologique sous-marine est réalisée à l’aide de différents capteurs mesurant les caractéristiques physiques du site et vise à mettre en évidence les anomalies susceptibles de correspondre à des vestiges. Un bateau, équipé des instruments de mesure et de systèmes informatiques d’acquisition et de traitement, parcourt la zone de recherche selon des lignes droites parallèles, dénommées profils, espacées de 30 à 80 mètres selon la profondeur moyenne du site et la taille et la nature des vestiges à découvrir.
L’embarcation est positionnée en temps réel par un système de positionnement différentiel par satellites (DGPS). Des magnétomètres à Résonance Magnétique Nucléaire (RMN) et un sonar à balayage latéral, mis en oeuvre par l’intermédiaire de treuils électriques, sont tractés par le navire, en surface dans les zones de faible profondeur ou immergés par des dépresseurs hydrodynamiques en eau plus profonde. Un système de positionnement acoustique transmet en permanence la position relative des capteurs tractés.

Le bateau est également équipé d’échosondeurs haute définition. Tous les paramètres enregistrés font l’objet d’une première analyse en temps réel durant la prospection. Un traitement journalier des données aboutit à la création de cartes bathymétriques (relief des fonds marins) et magnétométriques (champ magnétique) de la zone prospectée, complétées par une image sonar du fond (photographie acoustique). Les techniques d’analyse géophysiques consistent à mettre en évidence les discontinuités des paramètres mesurés comme le champ magnétique ambiant ou la réponse acoustique des terrains. Ces discontinuités ou contrastes sont appelées des anomalies.
Carte bathymétrique de la zone d’Héracléion.Dans les applications archéologiques, l’amplitude des anomalies intéressantes est particulièrement faible. Elles sont souvent combinées aux nombreuses anomalies géologiques naturelles, qui sont également mesurées par les capteurs qu’il faut donc « discriminer ». L’efficacité de cette discrimination repose sur la sensibilité des capteurs et leur configuration de mise en oeuvre, sur le traitement des données et sur l’analyse corrélative des résultats de mesure des différents instruments. Une première inspection visuelle et bien souvent des sondages sous-marins sont alors réalisés par des plongeurs expérimentés ou des robots instrumentés afin d’identifier l’origine de l’anomalie mesurée.
LES MAGNÉTOMÈTRES RMNLes principaux capteurs du système de prospection de l’IEASM sont des magnétomètres à Résonance Magnétique Nucléaire. Ces capteurs à très haute sensibilité ont été développés par le Commissariat à l’Energie Atomique français (CEA). Fondés sur la double résonance magnétique de protons et d’électrons (effet Abragam-Overhauser), ces magnétomètres RMN mesurent plus de mille fois par seconde la valeur absolue du champ magnétique terrestre avec une précision de un cinquante millionième de sa valeur.
La théorie.La sonde est un convertisseur champ/fréquence basé sur le principe de la résonance magnétique nucléaire amplifiée par une polarisation électronique dynamique. Les atomes d’hydrogène de solvants standards ont un moment magnétique proportionnel à leur spin (mouvement magnétique). Exposés au champ magnétique terrestre, ils précessent autour de ce champ à une fréquence proportionnelle à son module (appelée fréquence de Larmor, de 1 KHz à 3 KHz dans le champ magnétique terrestre). L’excitation électromagnétique de résonance crée par la cohérence de phase du spin une composante magnétique macroscopique précessant à la fréquence de Larmor. Cette composante induit une tension alternative dans la bobine de détection. La fréquence mesurée donne la valeur du champ magnétique. Le magnétisme nucléaire ainsi créé n’est pas directement détectable dans la mesure du champ magnétique terrestre. La polarisation électronique dynamique amplifie dans un facteur 1000 le signal nucléaire. Les spins nucléaires sont couplés aux spins d’électrons libres d’un radical en solution.
Deux fréquences d’excitation de la résonance électronique sont possibles : l’une génère une polarisation positive, l’autre une polarisation négative. Les fréquences dépendent du solvant utilisé. Le choix judicieux d’une paire de solvants contenant le même radical donnera à la même fréquence, un facteur de polarisation positive dans l’un des solvants et un facteur de polarisation négative dans l’autre. On parle alors de double effet Abragam-Overhauser. La sonde est composée de deux solvants hydrogénés dans des flacons distincts contenant un radical libre en solution; un circuit d’excitation de la polarisation dynamique à haute fréquence et un circuit basse fréquence qui respectivement et simultanément excite la résonance nucléaire et mesure le signal. La sonde comporte donc également deux bobines symétriques montées en opposition.
Géomagnétisme.Le champ magnétique terrestre superpose des phénomènes complexes dans le temps et dans l’espace (géologie de la croûte, effet dynamo, interaction Soleil-Terre, circulation de courants ionosphériques et telluriques, etc.) faisant intervenir des propriétés magnétiques et électriques. Le champ magnétique terrestre peut être schématiquement considéré comme dipolaire et de valeur comprise entre 20000 nano.Tesla (NT) à l’équateur et 60000 NT aux pôles auquel viennent s’ajouter un champ d’anomalies mondiales (de l’ordre de 10000 NT), un champ d’anomalies locales d’origines géologiques et des phénomènes transitoires de quelques dizaines de NT par 24 h.
Application à l’archéologie.Les anomalies magnétiques provoquées par les vestiges archéologiques sont superposées à ces anomalies d’origine naturelle. La discrimination entre toutes ces anomalies est fondée sur la très haute sensibilité des magnétomètres et, si nécessaire, sur la mesure du gradient magnétique local entre deux capteurs tractés simultanément. Ce gradientmètre réduit en temps réel les variations temporelles du champ magnétique terrestre et autorise la réjection d’une grande part des anomalies géologiques.
Cette méthode implémentée avec des magnétomètres RMN permet la détection d’objets très faiblement magnétiques, même profondément enfouis sous les sédiments. En baie d’Aboukir, la prospection de l’aire de recherche (110 km2) exige, par maillage de 10 m, 22000 km linéaires ! Qui plus est, cette couverture magnétique répond à des exigences particulières : les lignes de passage des détecteurs magnétométriques et donc du bateau doivent être droites et parallèles, leur vitesse constante, leur orientation permanente sans variation brusque d’élévation. En définitive, seules des conditions météorologiques exceptionnelles permettent d’obtenir des résultats satisfaisants.
LE SONAR À BALAYAGE LATÉRALCe capteur délivre une image acoustique du fond marin sur une bande de 50 à 150 mètres de chaque côté du navire. Il met en évidence rochers ou autres objets proéminents reposant sur le fond et peut donner une indication de leurs tailles par une mesure de l’ombre projetée. Il permet donc la réalisation d’images acoustiques des fonds marins selon la réflectivité des sédiments. Plusieurs paramètres classifient les différents types de sonar à balayage latéral, telles que la fréquence acoustique, la profondeur, la largeur du faisceau (vertical et horizontal), la durée et la cadence de l’impulsion. Un transducteur ou "poisson" est fixé à un câble relié au bateau, permettant ainsi l’émission d’ondes sonores perpendiculairement à la direction du bateau, qui, lorsqu’elles atteignent le fond de l’océan, sont réfléchies pour ensuite être captées par le "poisson". Plusieurs ondes sont enregistrées selon le degré de réflectivité, qui dépend du type de sédiment. Un fond irrégulier a un degré de réflectivité diminué par rapport à un fond sablonneux (lisse). Les obstacles et les irrégularités, qui empêchent la réflectivité des ondes sonores, forment quant à eux des ombres sur les relevés. L’image électronique ainsi obtenue révèle les reliefs des fonds marins.